Souvent méconnu, le sujet de la révision linguistique est pourtant central dans le processus de publication. Dans notre précédent article de blogue, nous avons défini les grands principes et vous avons livré le point de vue original de notre réviseure Lina Giguère. Nous vous proposons ce mois-ci deux entretiens avec deux réviseurs : Mario Raymond et Emmanuelle Friant.
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Mario Raymond est linguiste, réviseur et professeur de français. Il a aussi travaillé dans un journal régional pendant de nombreuses années en tant que correcteur. Mario connaît toutes les facettes du métier. C’est un amoureux des mots, un professeur de français comme on n’en fait plus. Ses remarques les plus rigoureuses sont toujours une stimulation pour l’esprit.

Mario, quel serait votre premier message pour un auteur qui n’a pas encore décidé s’il fera ou non réviser son manuscrit ?
Une révision ne se limite pas à la correction des fautes. C’est un travail infiniment complexe qui vise à améliorer la fluidité du texte, à choisir un registre de vocabulaire toujours adapté au récit, à choisir le mot juste. Et il faut faire tout cela en respectant la couleur de l’auteur, sinon ce n’est plus une révision.
Les auteurs acceptent-ils toujours les changements que vous leur suggérez ?
Non seulement ils sont d’accord, mais c’est ce qu’ils apprécient le plus. En fait, quand ils arrivent avec leur manuscrit, ils ne savent pas ce qui les attend. Et lorsque le moment du doute est passé, ils sont souvent étonnés par le fait qu’un mot à la place d’un autre donnera un sens encore plus fort à ce qu’ils veulent exprimer.

Mon rôle c’est de les aider à finaliser leur travail en apportant au manuscrit ce brillant qui lui manquait à l’état brut. C’est comme polir une pierre précieuse.
Qu’est-ce que vous faites pour convaincre un auteur de faire une révision linguistique ?
Quand je leur transmets ma soumission, je leur fournis toujours un extrait de quelques pages que j’ai corrigé avec les mêmes suggestions que je leur aurais faites s’ils m’avaient déjà passé commande. À partir de ce moment, l’auteur sait parfaitement ce pour quoi il payera si nous faisons affaire ensemble. C’est une première étape qui rassure beaucoup l’auteur.
Vous avez d’autres bonnes idées comme celle-là ?
Oui, quand je débute le travail de révision pour de bon, je commence toujours par fournir à l’auteur mes corrections et suggestions sur environ un quart du manuscrit. Il les examine. Une discussion s’ensuit.
L’auteur me dit ce qu’il pense. Et je peux tenir compte de ses remarques pour la suite de mon travail. C’est une méthode qui donne de très bons résultats et qui me permet de nourrir le climat de confiance.

Vous arrive-t-il de travailler plusieurs fois avec le même auteur ?
Oui, car en général quand un auteur a tissé des liens avec moi, il a envie qu’on retravaille ensemble.
Avez-vous un sujet dont vous aimeriez nous parler en particulier ?
Oui, je voudrais parler des mythes concernant les logiciels de correction. Lorsque je travaillais pour un journal local, je devais contrôler tous les textes que je corrigeais à l’aide d’un logiciel qui avait la réputation d’être le meilleur du marché. Je dois dire qu’il me faisait souvent des propositions assez loufoques. Je peux vous donner un exemple. Dans cette phrase : « Les enfants arrivaient avec un sac d’école », le logiciel m’avait suggéré de mettre un « s » à école, comme si le sac contenait des écoles, comme un sac de bonbons. Ça n’avait aucun sens d’appliquer la grammaire de cette manière formelle. En fait, les logiciels sont des machines. Ils ne remplacent pas le travail d’un professionnel expérimenté.
Emmanuelle a obtenu un doctorat d’histoire en France et a émigré au Québec en 2009 où elle a accompli un post-doctorat. Elle a enseigné pendant quatre années en France puis à l’Université de Montréal. Elle a travaillé avec de nombreux chercheurs francophones et anglophones pour les aider à finaliser leurs travaux académiques.

Emmanuelle fait aujourd’hui partie de l’équipe des Belles Soirées qui, au sein de l’UdeM, organise des conférences grand public sur l’histoire, l’art ou encore la philosophie.
Quel genre de réviseure êtes-vous ?
J’aime laisser la voix de l’auteur s’exprimer, aussi il est rare que je reformule le texte d’un auteur. Mais je suis toujours là pour corriger les erreurs et comme je suis une perfectionniste, je vous garantis que je fais cela avec tout mon cœur. Je suggère parfois des reformulations et je mets immanquablement en évidence les répétitions, mais je laisse toujours l’auteur proposer des changements et prendre les décisions finales. En outre, je suis très attentive aux détails, que ce soit dans le contenu ou dans l’harmonisation de la présentation formelle.
Est-ce qu’on peut parler de la cohérence du texte ? Je crois que c’est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur.
Effectivement. Sans doute est-ce dû à ma formation d’historienne et à mes années d’enseignement universitaire. J’ai déjà constaté que, dans les livres, l’orthographe des prénoms de personnages peut changer au cours du récit. Et cela, le lecteur le verra. J’en ai également vu qui « ressuscitaient » entre le début et la fin du livre.

Je sais que ça peut se produire parce qu’un auteur n’écrit pas toujours d’un seul trait et que le travail peut s’étaler sur une longue période. Quand on vit avec son texte pendant des mois, on n’a plus forcément le recul nécessaire pour repérer ces petites erreurs, que je m’efforce de dénicher.
Je fais aussi la chasse aux contradictions : pour les mêmes raisons, un auteur peut émettre des avis différents à deux points du livre. Ou bien se répéter en cherchant à préciser ses idées. Il m’est même arrivé de trouver des copier-coller du même paragraphe dans deux passages de l’ouvrage. Ça demande beaucoup d’attention et de toujours lire le livre en un seul jet, même s’il fait quatre cent pages.
Dans le domaine d’un récit historique, quelles sont les erreurs que vous décelez en général ?
Elles sont variées. De manière générale, les auteurs de récits historiques ont fait des recherches mais, là encore, je prête beaucoup d’attention aux petits détails et à la cohérence historique. Si par exemple l’auteur décrit un banquet chez un seigneur du XIIIe siècle, il faut faire attention que certains mets n’existaient pas à l’époque. Pas de gâteaux au chocolat ! Pas de tomates non plus ! Il faut également veiller à ce que, suivant les époques, certaines régions peuvent avoir changé de pays ou que les vêtements ne portent plus le même nom.
Certains comportements, également, sont bien trop modernes pour la période décrite. C’est particulièrement compliqué quand un livre s’étend sur plusieurs périodes car les traditions évoluent considérablement. Tout cela est très subtil, aussi un auteur ayant fait des recherches sérieuses peut tout de même se tromper. Je suis là pour lui éviter ce genre de faux pas.

Un autre exemple, un l’auteur qui décrit un tableau mais confond le titre avec celui d’un autre tableau du même artiste. Ça m’est arrivé et je m’en suis aperçue parce que j’avais justement étudié cet artiste en histoire de l’art. Les noms de monnaies représentent également une erreur courante. Ils changent suivant les époques.
Concernant les références, quel conseil donneriez-vous aux auteurs ?
Si l’ouvrage n’est pas un essai mais un récit, je conseille d’éviter tant que possible les notes de bas de page car elles coupent la lecture. Une annexe ou une bibliographie placées à la fin du livre sont à mon avis plus judicieuses.
Puisque nous parlons d’histoire, que pensez-vous de Wikipédia ?
Il y a dix ans, je vous aurais dit qu’il ne fallait globalement pas prendre cela au sérieux, mais aujourd’hui la plupart des pages sont assez bien faites.

Il faut tout de même rester vigilant, mais Wikipédia a amélioré son système de vérification et on peut en général savoir si le texte a été relu et approuvé par un comité de vérificateurs. Pour moi, c’est un bon outil pour commencer son travail.
En matière de cohérence, quelle est votre plus grande valeur ajoutée ?
Grâce à ma formation d’historienne, j’ai appris à utiliser des outils que les auteurs ne connaissent pas et j’ai acquis une méthodologie de travail avec les professeurs les plus exigeants. Un récit qui comporte des incohérences ne sera pas pris au sérieux. Après les mois de travail que l’auteur aura accompli, ce serait vraiment dommage de trébucher sur des détails comme cela.
Concernant le style, quel conseil pourriez-vous donner aux auteurs ?
Je constate très souvent que dans les dialogues, les auteurs utilisent des tournures de phrase qui ne sont pas cohérentes avec le personnage qui s’exprime : par exemple, je retrouve régulièrement des tournures de phrase spécifiquement québécoises dans la bouche de personnages qui ne le sont pas. Ainsi, un gangster chinois n’utilisera pas le mot « condo » ou l’expression « ça se peux-tu ? ».

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